Citoyen à temps plein

Réflexions

sur le travail

Fonder une nouvelle éthique du travail?

Le management c’est l’art d’utiliser la passion humaine d’exister.
— Caillat, Legendre & Bardet, 2007

L’objectif de ce dernier billet est d’identifier avec vous, à partir des réflexions menées dans les billets précédents, la manière avec laquelle nous devrions nous comporter vis-à-vis des discours et des pratiques associées au travail afin d’en faire davantage un vecteur d’émancipation que d’aliénation.

La déconstruction

Déconstruire une idéologie, ce n’est pas simplement la critiquer, de front, en se positionnant à l’extérieur de celle-ci. L’objectif n’est pas de détruire l’idéologie à déconstruire ni de la perpétuer en sa négation. La déconstruction d’une idéologie consiste davantage à en identifier, dans toute leur complexité, les constituants, et à les désassembler suffisamment pour y introduire de la souplesse dans leur articulation. En réalisant un tel exercice, nous réintroduisons en elle l’espace nécessaire qui permet « le geste d’une ouverture ou d’une réouverture en direction de ce qui doit avoir précédé toute construction » (1).

La déconstruction permet alors de lutter contre la tendance humaine naturelle à vouloir combler le vide. Dans une perspective de déconstruction, l’avenir ressemble à « un monde toujours en attente de sa vérité de monde, un monde dont le propre sens est en promesse, une totalité de sens possible » (1). Le sens est toujours présent, mais il n’est plus fixe ni fixable, c’est « un sens vide de tout contenu, de toute figure, de toute détermination » (1), c’est-à-dire une ouverture indéfinie qui ne finit plus d’ouvrir ce qu’elle ouvre.

Pourquoi déconstruire l’idéologie du travail?

Déconstruire l’idéologie du travail ne consiste donc pas à l’enterrer mais au contraire à y réintroduire l’espace des possibles en capitalisant sur son « élan vital ». Ce n’est pas non plus reproduire l’erreur de certains intellectuels qui en réalisant la déconstruction de l’idéologie chrétienne ont finalement surtout contribué à convaincre ses partisans qu’ils étaient dans le vrai (perpétuant ainsi le mouvement de fermeture enclenché) ou à catalyser le développement d’idéologies qui se sont construites dans la négation de l’idéologie chrétienne. C’est encore moins d’en critiquer uniquement les idées (l’idéologie du travail n’est pas seulement une agrégation de concepts) mais davantage d’en comprendre la dynamique d’intégration sociale (ex : centralité du travail dans la construction existentielle). Enfin, l’objectif n’est pas non plus de retrouver un état du travail originel qui s’est décomposé dans l’occidentalisation du monde mais plutôt le monde de la totalité des étants portant la totalité de sens possible et dans lequel le travail est un moyen, comme d’autres, d’ouverture du sens.

Que ce soit en tant que gestionnaires, chefs d’entreprise ou consultants, mais aussi en tant que travailleurs, nous mobilisons et contribuons quotidiennement à la survie et à l’évolution de cette idéologie qui répond à nos besoins ontologiques fondamentaux. Une certaine prudence (phronesis), pas spéculative mais pratique, dans l’action, s’avère toutefois nécessaire afin de maintenir l’ouverture de cette idéologie aux paradoxes de l’expérience. Comme le conseillait Hegel, il faut dépasser la tragédie et faire de son absurdité une comédie. Le christianisme a perdu sa capacité à se penser comme comédie et a de ce fait perdu son élan émancipateur. Prenons donc conscience que nous avons nous-mêmes créé ces dieux (que ce soit celui du travail ou les autres) et moquons-nous en!

 

1. NANCY, Jean-Luc (2005). « La Déclosion. Déconstruction du christianisme, 1 ».

TravailAlexandre Berkesse